Un soutien en moins pour le Polisario. Ce 22 novembre, c’est le Panama qui a suspendu
ses relations diplomatiques avec la République arabe sahraouie démocratique (RASD).
En 1978, il a été le premier pays à reconnaître l’entité sahraouie et à héberger sa
première ambassade, deux ans plus tard. Un revirement tel que ce 26 novembre, le roi
Mohammed VI a adressé un message de remerciements au président panaméen, José
Raúl Mulino Quintero.
Il y a un mois pile, l’Équateur sautait le pas de la rupture. Fini le temps où les États
d’Amérique latine faisaient leur le combat des indépendantistes sahraouis. En parallèle,
les puissances occidentales se succèdent pour annoncer leur soutien au plan
d’autonomie marocain. La plus récente reconnaissance diplomatique étant celle de Paris,
couronnée par la visite officielle, en octobre dernier, du président Macron.
En arrière-plan de ces rebondissements favorables à Rabat, le Front Polisario continue
de miser sur l’escalade militaire. Pour le 49ᵉ anniversaire de la Marche verte, qui a eu lieu
le 9 novembre dernier, les indépendantistes – considérés comme séparatistes par le
Maroc – veulent marquer le coup avec une série d’attaques. La plus importante en termes de dégâts : celle visant un chapiteau qui accueillait un événement organisé par le
conseil communal de Mahbès. Bilan : ni victime ni dégâts majeurs côté marocain, au
moins trois morts et trois blessés côté sahraoui.
Ancien ministre et ambassadeur pour le Polisario, Hadj Ahmed Baricalla, aujourd’hui
secrétaire et fondateur du Mouvement sahraoui pour la paix (MSP) établi aux îles
Canaries, analyse pour Jeune Afrique les circonstances géopolitiques de l’attaque de
Mahbès.
Jeune Afrique : Le 9 novembre dernier, à la mi-journée, le Polisario a mené une
série d’attaques, notamment sur la localitéf de Mahbès. Elle rappelle celle de
Smara, en octobre 2023, qui avait coûté la vie à un civil et en avait blessé trois
autres. Comment expliquer cette nouvelle intensification du conflit ?
Hadj Ahmed Baricalla : Il n’est pas nécessaire d’être un expert pour constater un revers
évident dans la stratégie du Polisario. Le manque de discernement dans le choix des
cibles, sans distinction entre installations militaires et zones urbaines, pourrait conduire le
mouvement à être classé parmi les groupes terroristes si des dommages collatéraux et
des morts civils ne sont pas évités. Depuis novembre 2020, le Polisario a perdu toutes
ses positions sur le territoire. La crise de Guerguerat et la rupture unilatérale du cessezle-feu ont entraîné un nouveau rapport de force défavorable au Polisario, le contraignant
à abandonner toutes ses positions sur le territoire et obligeant les habitants à regagner
les camps de réfugiés
Roquettes tirées depuis des véhicules militaires au-delà du « mur de Sable »,
attaques déployées plusieurs jours d’affilée… Comment interpréter ce modus
operandi ?
Sur le terrain, le Polisario a perdu en capacité et en puissance de feu après avoir retiré le
matériel lourd. Il ne dispose plus que de petites unités, équipées de matériel léger et
ayant des difficultés à approcher les positions marocaines dans le mur défensif, sous la
menace des drones. Son mode opératoire actuel est similaire à celui de ses débuts, avec
des actions de guérilla de faible intensité. L’intervention des drones du Maroc ainsi que la
maladresse et l’imprudence des dirigeants du Polisario ont été des facteurs déterminants
dans cette situation.
L’attaque a eu lieu près du territoire mauritanien. Pensez-vous que cela pourrait
mener à une crise diplomatique entre Nouakchott et Alger ?
Il est logique que les autorités mauritaniennes soient mal à l’aise face à la proximité
d’espaces instables et peu sécurisés. La frontière avec le Sahara occidental s’étend sur
plus de 1 500 kilomètres et manque de points de repère ou de caractéristiques
géographiques insurmontables. Par ailleurs, des victimes civiles mauritaniennes
touchées par des drones marocains ont été signalées.
Les autorités mauritaniennes déploient de gros efforts pour éviter que des actions de
guerre n’affectent leur territoire et ne mettent en danger leur neutralité. Cette tâche n’est
pas facile, d’autant plus qu’elles sont confrontées à des défis similaires au Sahel, le long
de sa frontière avec le Mali voisin. Heureusement, malgré la proximité des zones de
turbulences, les autorités mauritaniennes n’ont pas restreint les déplacements de la
population civile. Les Sahraouis circulent librement et en toute tranquillité, et les réfugiés
maliens bénéficient d’un abri et d’une protection. La Mauritanie reste un îlot de paix, une
lumière entre deux océans troublés.
Nouakchott pourrait-il ouvertement soutenir le plan d’autonomie marocain ?
La Mauritanie prend grand soin de sa position neutre sur la question du Sahara
occidental et je ne pense pas qu’elle bougera tant que persisteront les tensions entre
l’Algérie et le Maroc. En tant que pays observateur, elle a suivi de près le processus
politique et la mission de bons offices de tous les envoyés de l’ONU. S’il y avait eu une
réelle évolution dans les négociations et si des propositions concrètes avaient été
avancées, la Mauritanie aurait pu jouer un rôle plus actif en rapprochant les positions et
en facilitant le compromis.
De récentes images diffusées par les canaux médiatiques du Polisario suggèrent
l’utilisation de roquettes d’origine iranienne. Quel est le degré d’implication de
Téhéran dans le soutien aux indépendantistes sahraouis ?
Je ne suis pas non plus sûr que le Polisario bénéficie d’un soutien militaire explicite de
l’Iran. J’espère que cette alliance n’aura pas lieu, car elle compliquerait encore davantage
le problème. La possibilité de connexions et d’ingérences de l’Iran, similaires à celles qui
existent avec d’autres groupes armés tels que le Hezbollah, le Hamas et les Houthis au
Yémen, créerait un scénario désastreux aux conséquences imprévisibles pour la région.
Ce serait le comble des malédictions pour les Sahraouis.
Washington, Madrid, Berlin et, plus récemment, Paris… Alors que la position d’un
nombre croissant de puissances occidentales se prononce en faveur du plan
d’autonomie marocain pour le Sahara, comment ces récentes évolutions sont-elles
perçues dans les camps de Tindouf ?
La préoccupation et la priorité des réfugiés à Tindouf est de résoudre les problèmes
quotidiens et de sortir de ce tunnel. L’exil prolongé, les conditions de vie extrêmes et la
longue attente ont fait perdre confiance aux gens dans la direction du Polisario et dans le
système des Nations unies. La population a mûri, et l’accès aux réseaux sociaux et aux
médias lui permet de faire la part des choses entre réalité et mirages. Le discours unique
ne convainc plus personne.
Comment est perçu Brahim Ghali, réélu en janvier 2023 à la tête du Polisario pour
la troisième fois ?
Sous la direction actuelle, le Polisario est entré dans un déclin progressif. De
nombreuses personnes ont quitté les camps pour s’installer en Mauritanie, dans les villes
sahraouies administrées par le Maroc, mais aussi dans certains pays européens, comme
l’Espagne et la France, pour bénéficier du statut d’apatride.
Après cinquante ans de subsistance dans des conditions extrêmes dans le désert
algérien de Tindouf, les gens ne sont plus séduits ou freinés par les discours radicaux liés
aux guerres de libération et aux projets révolutionnaires. Ils préfèrent le style de vie et le
confort dont jouissent leurs propres dirigeants, ainsi que leurs familles dans la ville de
Tindouf et en Europe.
« Le moment est venu pour moi et pour tous les interlocuteurs d’explorer les
modalités que le Maroc envisage concrètement », a récemment déclaré l’envoyé
spécial de l’ONU, Staffan de Mistura. La Minurso (Mission des Nations unies pour
l’organisation d’un référendum au Sahara occidental) a-t-elle encore une raison
d’être ?
La présentation faite par le médiateur et sa menace de « jeter l’éponge » s’il n’y a pas de
progrès dans les six prochains mois ont fait basculer la responsabilité sur les pays
influents, en particulier la France et les États-Unis. Cela met également en difficulté les
parties concernées, notamment l’Algérie et le Maroc. Sans aucun doute, la question du
Sahara traverse un moment crucial dont l’avenir de la Minurso, mais aussi la mission de
l’envoyé de Mistura et le rôle de l’ONU dans la résolution du conflit dépendront. Bref, un
carrefour. Mais peut-être aussi une opportunité.
Au MSP, vous avez été les premiers à appeler à aborder plus concrètement les
modalités de la proposition marocaine. Sur quels points, par exemple, voudriezvous qu’il y ait des discussions, voire des négociations avec Rabat ?
Lors de la conférence de Dakar, en octobre 2023, nous avons présenté ce qui pourrait
être une feuille de route dont la référence est la proposition marocaine de 2007, fondée
sur une approche modérée et réaliste. Il reste une large marge pour négocier et définir
les relations d’interdépendance entre l’administration centrale et l’entité sahraouie, y
compris les pouvoirs, les ressources, les garanties réciproques et les mécanismes
d’arbitrage. C’est un ensemble d’éléments tirés du modèle du Kurdistan irakien, des
modèles espagnols, notamment basque, entre autres références. Certains
gouvernements et parties intéressées nous ont demandé des copies du projet.
En vue de la prochaine conférence du MSP, nous voulons réunir des notables sahraouis
ainsi que des représentants de divers courants politiques et de la société civile. Nous
sommes ouverts à ce que le Polisario ait ses propres délégués, à condition qu’il laisse à
la porte le titre de « représentant unique et légitime » qu’il n’a jamais été, encore moins
en 2024. L’idée est de sortir de la « zone grise » et de mettre sur la table des propositions
et des initiatives concrètes pour stimuler le dialogue. Si le Polisario refuse, nous ouvrirons notre propre voie vers l’accord et la coexistence avec le Royaume du Maroc, convaincus
que nous reflétons les sentiments et les espoirs de la majorité du peuple du Sahara
occidental aujourd’hui.
Le 4 octobre dernier, la Cour de justice de l’Union européenne annulait les accords
agricoles et de pêche entre l’UE et le Maroc. Selon la presse espagnole, le Front
Polisario viserait désormais un autre objectif : abolir l’accord aérien permettant la
connexion des vols entre l’Europe et le Maroc. L’annulation de ces accords peutelle être interprétée comme une victoire pour le Polisario ?
Cela ne me semble pas pertinent. Je ne crois pas que l’impact de ces avis judiciaires
modifiera les flux commerciaux ou les accords entre le Maroc et ses partenaires les plus
importants de l’Union européenne. Le Polisario a tendance à surinterpréter l’importance
de ces condamnations. Il existe d’autres considérations, intérêts et « raisons de force
majeure » qui sont fondamentales pour déterminer l’importance des relations entre les
pays européens et le Maroc. C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi les principales
puissances ont soutenu la proposition marocaine de résolution du conflit du Sahara
occidental. C’est de la « realpolitik ».