Bahia Baali à l’hebdomadaire Maroc hebdo: “Il faut aller à la paix des braves”.

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Entretien avec Bahia Salek Baâli, membre de la commission politique de Sahraouis pour la paix

Opposant notoire au Polisario à travers l’Initiative sahraouie pour le changement, Bahia Salek Baâli fait partie des membres fondateurs du mouvement Sahraouis pour la paix, qui vise à apporter une voix différente pour le règlement du conflit du Sahara. Il revient pour Maroc Hebdo sur la genèse de son mouvement, ses objectifs et le mode d’action que lui et les siens comptent adopter dans le proche avenir.

La création de votre mouvement, le 19 avril 2020, a fait couler beaucoup d’encre et d’aucuns se posent la question sur votre vrai projet et vos finalités. Pourriez-vous nous en dire davantage sur le mouvement des Sahraouis pour la paix?
Comme vous le savez, cela fait 50 ans que le Sahara est en proie à un conflit qui n’en finit pas. Cinquante ans où le Polisario a accumulé les erreurs, où les considérations de ses directions successives ont été personnelles et où les Sahraouis se sont retrouvés pris en otages. Aujourd’hui, nous avons en face de nous des conditions objectives dont nous nous devons de faire la lecture en nous départissant de toute émotion. Et ces conditions nous disent ceci: que c’est les Sahraouis qui paient la facture à travers leur dispersion, à travers leur douleur, à travers leur souffrance, à travers leur absence d’essor et de prospérité, à travers un avenir qui se fait flou…

Quand vous parlez des considérations personnelles des directions du Polisario, vous faites référence à quoi exactement?
Cela fait quatre ans que le Polisario se refusait de dialoguer avec nous, car il faut savoir qu’avant Sahraouis pour la paix nous avions auparavant lancé l’Initiative sahraouie pour le changement. Il n’est pas une porte à laquelle nous n’ayons frappé. Et puis il y a eu le XVe congrès (en décembre

2019, ndlr), auquel ont présidé les mêmes mécanismes, les mêmes outils, avec pratiquement les mêmes personnes, comme s’il s’était agi tout au long de tous ces congrès d’une simple opération héréditaire. La porte était définitivement close face à tous ceux qui voulaient réformer ou ouvrir la voie au dialogue ou au changement ou sauver les Sahraouis.

Ce qui nous ramène à Sahraouis pour la paix…
Notre objectif est de mettre fin au conflit en explorant les voies du possible et en mettant fin au renferment des uns et des autres. Il nous faut abandonner les principes que nous connaissons, être courageux et avoir de la volonté politique. Le plus important est d’aboutir à une solution juste et acceptable qui garantisse l’autodétermination [des Sahraouis], avec des garanties en matière de droits humains, en matière d’essor, en matière de vie décente, à l’instar de toutes les sociétés.

Je comprends que vous êtes ouverts au plan d’autonomie marocain…
Comme je vous l’ai dit, nous voulons explorer les voies du possible et mettre fin au renfermement des uns et des autres, en prenant en compte un processus de paix de 40 ans, les visites-navettes [inaugurée en 2012 par l’ancien envoyé spécial onusien, Christopher Ross], les négociations, les rencontres directes et indirectes. Et surtout prendre en compte le sort des Sahraouis, ces Sahraouis dispersés. Moi qui suis par exemple en train de vous parler, je n’ai vu qu’une seule fois ma mère depuis 1975, alors qu’elle était sur le point de mourir. Je n’ai jamais revu mes frères et mes soeurs. C’est une tragédie humaine. Il faut mettre de côté les considérations politiques.

Depuis que nous avons commencé cette discussion, j’ai comme l’impression qu’en parlant des parties du conflit du Sahara vous faites référence seulement au Maroc et au Polisario, alors que vous savez très bien, et cela le Conseil de sécurité lui-même le souligne désormais, qu’il y a aussi la Mauritanie et surtout l’Algérie…
L’Algérie est bien sûr la principale partie. Il n’est possible de mettre fin au renfermement que si l’Algérie y met fin. Nous mettons d’ailleurs le conflit du Sahara dans son contexte régional du Grand Maghreb arabe. Il nous faut aujourd’hui en finir avec tous les discours lénifiants qui entravent la construction du Grand Maghreb arabe. Ce conflit du Sahara qui mine cette construction doit cesser. De l’est de la Libye à l’ouest du Maroc et jusqu’au sud de la Mauritanie, nous partageons une même langue, une même religion. Nous avons des liens et des points communs qui nous commandent la paix des braves.

Il y a dans votre discours des points d’accord avec ceux du Maroc, et d’ailleurs il y a un ancien diplomate algérien qui, dans une tribune, vous a catalogué de “nouveau fauxnez du colon marocain” (sic). Que répondez- vous à cela?
Depuis 20 ans que je vis dans les camps [de Tindouf], chaque fois qu’une opinion différente émerge on dit qu’il y a derrière les autorités marocaines. C’est la même façon avec laquelle opéraient les gouvernements arabes dans les années 1970 et 1980, en disant qu’Israël tire les ficelles, qu’Israël est partout. Le Polisario fait la même chose. Il suffit de diverger avec lui sur la moindre des choses pour qu’on soit taxé de travailler pour les Marocains. C’est pour cela que je dis souvent qu’il y a deux points noirs dans la planète, à savoir la Corée du Nord et le Polisario. On frappe d’anathème à tout-va, on invoque la théorie du complot, c’est soit vous êtes avec moi ou contre moi. On se considère comme étant le messie.

Le Polisario dit justement être le seul avoir la légitimité pour représenter la population du Sahara et remet ouvertement en question la vôtre…
Regardez la liste des membres constitutifs de Sahraouis pour la paix et vous pourrez voir de vous-mêmes. Nous sommes bien plus légitimes que le Polisario, dont 90% n’avaient aucune relation avec le Sahara avant [le départ de l’Espagne en] 1975. Nous et nos parents et grands-parents avons tous été recensés par les autorités espagnoles, et nous avons tous les documents qui prouvent nos assertions. Et c’est les documents qui peuvent, en dernier ressort, juger de la légitimité des uns et des autres. Les membres de la direction de la Polisario n’ont rien de cela.

Depuis plusieurs années, on parle de la situation tragique des Sahraouis de Tindouf, de jeunes sans perspective aucune, en pleine révolte. Est-ce une vision des choses qui est exacte?
La situation est déplorable [à Tindouf]. On voit que ce qui importe à la direction du Polisario, c’est de rester au pouvoir tout en profitant de la manne que représentent les aides humanitaires. En vérité, cette direction ne se soucie aucunement d’un règlement du conflit tant que les choses sont stables pour elles. Le Polisario ne vit absolument pas au XXIe siècle. Son logiciel en termes de démocratie, en termes de multipartisme n’est pas du tout adapté à notre époque.

On a vu par exemple l’arrestation, en décembre dernier, de trois activistes (Moulay Abba Bouzid, El Fadel Breika et Mahmoud Zedan, ndlr), simplement parce qu’ils exprimaient des opinions contraires sur Facebook. Avant Sahraouis pour la paix et l’Initiative sahraouie pour le changement dont je vous ai parlé et dont j’ai été personnellement membre, il y a eu aussi le Mouvement du 5-mars et le Mouvement des officiers libres, et d’autres mouvements pourraient à l’avenir encore voir le jour.

Comment va se dérouler la suite pour Sahraouis pour la paix?
L’objectif est d’organiser notre congrès constitutif dans les 24 mois. Nous avons mis en place une commission politique constituée de 13 membres, dont moi-même. Le secrétaire général est El Haj Ahmed. Nous comptons par ailleurs sept conseillers chargés de préparer le congrès. Nous avons aussi une commission chargé des adhésions et qui a une fin d’encadrement. Nous comptons bientôt prendre langue avec les parties directement ou indirectement mêlées au règlement du conflit.

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